La Verendrye au lac des Bois (détail), Arthur H. Hider (1870-1952), Bibliothèque et Archives Canada |
Entourés de leurs armées ou seuls à cheval, Pancho Villa ou Napoléon s’affichent à l’aise sur la photo de l’histoire. Mais La Vérendrye n’a pas d’armée ni de cheval. Il est juste un découvreur à coup d’aviron, un homme qui parle aux Indiens.
Antoine Champagne, l’un des rares ‘photographes du passé’ fascinés par La Vérendrye, remarquait en 1968 : « Chose étonnante au premier abord, il y a cent ans le découvreur de l’Ouest était pratiquement inconnu ». Et la situation était la même au moment de son commentaire… et actuellement.
La documentation historique est toujours fuyante, comme le temps lui-même, un naufrage constant de guerres et d’incendies auxquels le papier survit à peine. Lettres, journaux, actes notariés, mémoires, tout effacé par l’eau, réduit en cendres, broyé par la haine ou l’ignorance.
Mais il y a pire : le lavage de l’oubli. L’oubli d’un homme simple qui savait parler aux Indiens dans leur langue, avec des gestes qu’ils comprenaient et appréciaient. Non, La Vérendrye ne faisait pas bonne figure pour la photo habituelle. Il était condamné à rester hors cadre, flou dans sa simplicité d’homme normal et tenace.
Laissons parler néanmoins deux de ses meilleurs ‘photographes’, qui ont su déceler son étoffe derrière son esprit de négociation et non-violence.
Georges Dugas (Saint-Jacques-de-l’Achigan, 1833 - Sainte-Anne-des-Plaines, 1928) |
Georges Dugas est le premier. Homme d’Église qui n’a pas la langue dans sa poche, il est envoyé comme missionnaire à la rivière Rouge (sur la route de La Vérendrye !), où il est témoin du mouvement de résistance de Louis Riel en 1869. Vingt ans plus tard, il prend sa retraite dans son Québec natal et se consacre à l’écriture de ses souvenirs : des légendes du Nord-Ouest, des récits de la vie des voyageurs, son magnifique L’Ouest canadien (1896), dont une bonne partie est dédiée à La Vérendrye, l’histoire du mouvement des Métis de la rivière Rouge, tout avec la plume agile et acérée du ‘photographe’ qui a connu les faits de première main et qui peut mettre les pieds dans la photo… en homme d’Église, en québécois, en simple défenseur de la vérité qu’il a vue.
Antoine Champagne (Manitoba, 1892 - 1980) |
Le Manitobain Antoine Champagne est le deuxième. Un profil comparable d’homme d’Église, bref séjour au nord du Québec, douze ans en Europe, retour à Manitoba comme curé, très productive retraite de recherche sur l’histoire de l’Ouest : ses volumes Les La Vérendrye et le Poste de l’Ouest (1968) et Nouvelles études… (1971) ont une richesse de documentation et une précision d’écriture vraiment admirables. Met-il aussi ses propres pieds dans la photo de La Vérendrye ? À peine, mais oui, à coup de passion, de révolte contre l’oubli du personnage. Et à coup de documentation, énorme et toujours pertinente.
Ils sont bien ces deux ‘photographes du passé’. Grâce à eux, La Vérendrye a pu rentrer dans le cadre de la photo.