mardi 31 mars 2020

Retour sur le fil du temps en période de pause

Diego Velázquez, Les fileuses (ou La fable d’Arachné), détail, ca 1657, El Prado.

N’allez pas me dire que le temps est ce fil de soie qu’une araignée laborieuse issue du Big Bang tisse en enfilant les minutes et les années de notre agenda.
N’allez pas me dire que le temps est cette belle droite, partie vers la croissance de la richesse (et mettant au rencart la distribution de celle-ci, hélas !).
Aujourd’hui, on est sur pause.
Le temps, un long fil droit ? Vraiment ?
Les fileuses (détail), El Prado.
Pour commencer, je vous dirai que les heures n’ont pas toujours eu 60 minutes : dans la Rome antique, par exemple, les douze heures du jour n’avaient pas la même durée en été qu’en hiver, puisqu’elles divisaient la durée de la lumière. Plus près de nous, avant 1883 (normalisation des fuseaux horaires actuels), le temps à Trois-Rivières n’était pas le même qu’à la ville de Québec, mais 5 m 24 s plus tôt, le temps que prend le Soleil pour passer du méridien d’une ville à celui de l’autre.
Pour continuer, le temps a déjà été circulaire : par le retour des oies et des amours (même s’il n’y a plus de saison !) ; par les cycles et les renaissances des conceptions orientales de la vie ; et même par ‘l’éternel retour’ de Friedrich Nitzsche (1844-1900), qui n’a rien à voir avec ces dernières, car il se limite à poser l’insidieuse question suivante, à portée essentiellement éthique : supposez que la mort arrive à votre chevet et vous donne le choix entre disparaître dans le néant ou revivre votre vie à l’infini ; la vie que vous avez faite vous donnerait-elle le courage de choisir l’éternel retour ? Malin ce Nitzsche, eh ?
Et pour finir, Henri Bergson (1859-1941) nous a déjà fait voir  que la ‘durée’, le vrai temps des êtres vivants, n’a rien a voir avec le tic-tac de la montre. La preuve : maintenant qu’on est sur pause, le temps ne file plus comme avant. Il faudrait en profiter, par exemple, car il est plus aisé de réfléchir au sec sur un recoin que dans l’action des rapides.
En effet, la réalité du temps c’est qu’il s’arrête, il trace de profonds méandres et son cours ressemble plus à un zigzag qu’à une droite. Plus encore : le fil du temps bifurque. Rappelez-vous les ‘histoires dont vous êtres le héros / l’héroïne’, où il faut faire des choix, chacun conduisant à un récit différent… Rappelez-vous le jeu d’échecs, dont le nombre de démarches possibles croît à la vitesse de la multiplication d’un virus…
L’araignée du temps sécrète un fil translucide, mais elle tisse avec celui-ci une toile, un ‘jardin aux sentiers qui bifurquent’. La suite, dans le récit du même titre du recueil Fictions, de Jorge Luis Borges (1899-1986).
Ces derniers jours, j’ai reçu des messages des gens que j’avais perdus de vue depuis longtemps, des messages qui disent que c’était bien, les moments qu’on a coïncidé sur le train où vont les choses. Et, oui, c’était bien de les recevoir.
❧ ❧

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Les pieds des photographes

La Verendrye au lac des Bois (détail), Arthur H. Hider (1870-1952), Bibliothèque et Archives Canada Entourés de leurs ar...